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Claude Aubert, biodéclencheur

Claude Aubert, biodéclencheur

Le 11/09/2017

Le retour des légumes secs ou des céréales complètes dans nos assiettes, bio bien sûr, la magie des aliments lactofermentés, ces centaines de conseils pour cultiver ou jardiner, bio naturellement, ces milliers de recettes – bio et pas chères – pour se régaler…, c’est lui ! Et quoi encore ? La rédaction de cahiers des charges bio au plan national ou international, les premiers…, il est encore de la partie. Sobre, discret, éternel curieux qui défriche, toujours rationnellement et avec deux longueurs d’avance depuis plus d’un demi-siècle, Claude Aubert est un Monsieur de l’AB.

© Arnaud Tracol - Marie Bastille

Comment êtes-vous tombé dans le champ de la bio ?

J’ai commencé ma carrière d’ingénieur agronome dans les années 60 dans une société d’études sur le développement en Afrique de l’Ouest. Lors des missions, je me demandais si ce que j’avais appris à l’Agro, qui semblait valable dans les pays tempérés, l’était aussi dans les pays tropicaux. Je m’interrogeais sur l’opportunité de l’agriculture intensive avec ses labours profonds, ses engrais et ses pesticides sur des sols très fragiles, ou encore sur les méthodes d’élevage, à l’opposé des principes pacifistes qui m’intéressaient, tels ceux de Gandhi et de son disciple, Lanza del Vasto. Le philosophe italien avait fondé en France la communauté de l’Arche afin de développer la non-violence en Occident. Au sortir d’un de ses stages, un participant me demande mon métier et me lance : « Tu connais l’agriculturebiologique ? Viens nous voir à Nature et Progrès ! ».

 

Et vous y êtes allé ?

Oui, à Sainte-Geneviève-des-Bois (92). Les principaux assistants des fondateurs de Nature et Progrès* y vivaient en semi-communauté, adeptes du naturisme pour certains [sourires], mais c’est ce qu’ils disaient sur l’agriculture qui m’a retenu. Je n’ai pas tardé à lâcher mon job pour me consacrer à cette jeune association et me lancer dans le maraîchage bio. Deux fois par semaine, je livrais à Paris des adhérents N&P et des magasins diététiques, les bio n’existant pas, à bord d’un fourgon bringuebalant à gueule de bouledogue en tôle ondulée… C’était folklorique ! Je voulais aussi comprendre la bio. En France, il y avait juste une poignée de paysans bio et quasiment aucune étude. J’ai cherché du côté de l’Angleterre et de la Soil Association, association plus ancienne que N&P, de la Suisse, de l’Allemagne, j’ai commencé à étudier la littérature scientifique, à échanger avec les agriculteurs bio. Je me suis retrouvé avec suffisamment d’expériences et de données internationales pour conseiller et écrire.

 

Comment êtes-vous passé du champ à l’assiette ?

Grâce à ma femme, végétarienne convaincue pour qui l’alimentation est très importante, et à mes rencontres. Souvent j’entendais : « Vous pouvez y aller,c’est naturel, ça vous fera pas de mal ! » même s’il s’agissait de plantureuses assiettes de charcuterie. Je me suis demandé si manger bio était suffisant et de quoi se composait notre assiette.

 

C’est là que ces Fabuleuses légumineuses** s’imposent. Pourquoi ?

Une évidence pour un agronome ! Elles sont incontournables en bio. La grande révolution agricole, avant les OGM, c’est l’invention de la synthèse chimique de l’azote, juste avant la guerre de 14-18 par Haber, chimiste allemand qui inventa aussi les gaz de combat. De la poudre et des granulés pour multiplier les rendements par 3 ou 4, quelle invention géniale ! L’azote, principal constituant de l’air, est aussi le principal aliment des plantes mais, bizarrerie de la nature, la plupart ne peuvent pas l’utiliser directement. Elles le captent grâce à des bactéries, seules ou en symbiose avec des légumineuses, famille de végétaux capables de restituer l’azote de l’air dans le sol. Avant la synthèse artificielle de l’azote, pour augmenter les rendements, il fallait en quelque sorte ramener au sol tout ce qu’on allait lui prendre à travers des fertilisants organiques (fumier, compost, etc.) ou des cultures de légumineuses. Avec cette découverte, on s’aperçoit qu’on n’a plus besoin de faire des rotations. On peut faire des monocultures, d’où la multiplication des ravageurs et des maladies, les pesticides… De là, une bonne part des aberrations de l’agriculture moderne.

 

Et dans l’assiette, une évidence aussi ?

La plupart des peuples pratiquant l’agriculture ont toujours mangé en moyenne autour de 50 g de légumineuses/jour/personne contre 5 g en France aujourd’hui. Les légumes secs sont des aliments remarquables, pourvoyeurs d’antioxydants, de protéines, de fibres, et bon marché. Nous devrions en manger plus. Après la Deuxième Guerre mondiale, on a commencé à dire que le pain complet irritait les intestins, que les légumineuses étaient indigestes et que la viande donnait des forces ! En étudiant les traditions alimentaires, j’ai rapidement constaté que c’était faux. C’est désormais confirmé.

 

Hier on doutait qu’être végétarien permette une bonne santé. Aujourd’hui certains assurent qu’il faut être végétarien. Pour vous qui avez exploré le sujet***, faut-il être végétarien ?

Il faut manger beaucoup plus de végétal et beaucoup moins d’animal. Mais il n’est pas nécessaire d’être végétarien pour être en bonne santé ni pour celle de la planète ! Ce qui me semble incohérent, sur le plan nutritionnel, dans un régime excluant tout dérivé animal comme le véganisme, c’est le manque de vitamine B12 que l’on doit alors trouver dans des compléments alimentaires où elle est de synthèse.

 

L’élevage est-il indispensable à l’AB ?

Si l’animal est une composante essentielle de la biodynamie [une forme d’agriculture biologique, NDLR], position philosophique respectable, en bio, on ne peut pas affirmer qu’il est totalement incontournable. En théorie, on pourrait s’en passer. Mais quel impact sur la production et les rendements par exemple ? Il faudrait consacrer une grande place aux légumineuses. Qui mangerait les conséquentes récoltes ? Et quid des agriculteurs de montagne, là où les terres ne peuvent être valorisées qu’en prés à brouter, qui vivent du lait des animaux ? Le végétarisme n’exclut pas de tuer des animaux : pour avoir le lait, il faut des naissances et des petits. On peut espacer les naissances, mais le lait finit par se tarir. Et quelle solution pour les mâles, une naissance sur deux ? La traction animale en remplacement du tracteur ? Ce serait écologiquement cohérent… La complexité du sujet et les interrogations économiques nécessitent plus de données et de réflexion.

 

Vous qui poursuivez une veille : qu’est-ce qui, dans votre domaine, anime les scientifiques ?

Les perturbateurs endocriniens, un sujet polémique d’autant qu’ils remettent en cause toutes les normes toxicologiques, ce n’est plus la dose qui fait le poison, comme on l’a longtemps cru. On sait maintenant qu’une molécule peut agir à des doses des milliers de fois inférieures à celles considérées jusque-là sans effet. Il y a un travail énorme de vérification de l’innocuité.

 

Quel est votre regard sur l’évolution de la bio aujourd’hui ?

Ça va dans le bon sens, clairement, y compris au plan mondial. Cependant si le 100 % bio reste l’objectif, je ne pense pas qu’on puisse rapidement l’atteindre partout. Il y a des cas où pour certains parasites il n’existe toujours pas de réponse totalement satisfaisante. Il faut donc intensifier la recherche.

 

Pour vous, la bio est une possibilité pour l’agriculture parmi d’autres, une option ?

Non ! C’est LA meilleure option. Car un pesticide, même de temps en temps, est toujours de trop. Mais on n’arrivera pas d’un coup au 100 % bio, il faut être réaliste et s’intéresser aux transitions. Il faudrait aussi faire évoluer les cahiers des charges de l’agriculture biologique. Ils sont à certains endroits très précis, sur les aspects agronomiques, mais le sont moins sur l’environnement, sur la biodiversité par exemple qui reste un concept vague. Je pense qu’il faudrait également intégrer des critères sociaux pour parer les éventuelles dérives.

 

À quoi vous intéressez-vous aujourd’hui, outre l’AB ?

À l’intelligence des plantes, leur adaptation à l’environnement, leurs mécanismes très sophistiqués qui leur permettent de communiquer ou de se défendre en fabriquant certaines substances ; à l’intérêt d’associer différentes cultures sur un même espace. Je continue à démontrer, par mes livres et mes conférences, l’importance de manger bio pour la planète, le climat, notre santé… Et je jardine, comme je l’ai toujours fait.

 

* Association créée en 1964 par des paysans, des consommateurs, des médecins, des agronomes et des nutritionnistes pour développer l’agrobiologie

** Titre paru en 1989 et augmenté en 2009

*** Faut-il être végétarien, coécrit avec Dr Nicolas Le Berre, 2007

 

Retrouvez également l’interview de Claude Aubert dans CULTURE(S)BIO n°95, magazine offert par votre magasin Biocoop, dans la limite des stocks disponibles, ou à télécharger sur Biocoop.fr

Bio express de Claude Aubert

Né en 1936, Claude Aubert est l’auteur d’une importante bibliographie sur l’alimentation et l’agriculture bio avec des ouvrages de référence, véritables « déclencheurs », comme L’Agriculture biologique, pourquoi etcomment la pratiquer (1972) suivi du Jardinpotager biologique (100 000 exemplaires), Une autre assiette (1979), etc. Il s’est investi dans différentes associations et instances de la bio (Nature et Progrès, Ifoam, association internationale de la bio…). En 1979, il cofonde la revue Les Quatre Saisons dujardinage, puis les éditions Terre vivante (1982) et le Centre d’écologie du même nom (1992) dans le Trièves (38), convaincu depuis longtemps d’une nécessaire remise en cause de nos modes de développement et de consommation. Il vit aujourd’hui dans le Sud-Ouest près de Castres et se consacre à ses activités de conférencier, d’auteur et de consultant.

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